L’infiniment petit du germe de l’enfance contenait déjà la totalité.
J’ai grandi dans une maison peuplée de fantômes et de musique dans la magnifique campagne de l’Allier. Mes deux livres de chevet étaient « les aventures de Tambour et Toptop », où la grande question de la deuxième histoire était « mais où disparaissent les rêves quand je me réveille le matin ? » et « Hiawatha le Petit Indien », qui descendait la rivière dans sa pirogue et vivait plein d’aventures avec les animaux. Mes meilleurs amis ont longtemps été les chats, les chiens, les lapins et les veaux de la ferme. Le marronnier qui trônait dans la cour veillait sur moi, les branches du frêne pleureur et du sumac m’accueillaient quand ma mère m’appelait pour mettre la table.
Mon père m’emmenait avec lui en forêt à la tombée du jour où régnait le vacarme de tous les animaux rentrant chez eux. Lorsque j’étais fatiguée, il me faisait m’adosser à un chêne, les paumes contre son écorce pour prendre son énergie et celle de la Terre. Mes parents savaient la connexion entre chaque chose, comme les peuples aborigènes. La Nature a toujours été une amie vivante pour moi, chaque jour je chante avec elle.
Dans cette campagne, il y avait encore des êtres humains dans les champs au moment des foins et des moissons. Il y avait des haies, des insectes, des oiseaux, de l’eau, des voisins pour « pêcher l’étang » et partager le poisson. De la beauté partout. J’ai vu le cycle de la vie : ce qu’était naître, ce qu’était tuer, la vie lutter dans son désir de vivre, mourir et être mort.
« Qui suis-je ? » est la question qui m’a hantée depuis l’enfance. Une phrase m’est arrivée très tôt : « On vient sur Terre avec une mission et le suicide n’est pas une option ». Drôle de phrase pour une petite fille. Je me souviens aussi être dans la salle de bains et voir le carrelage s’éloigner, tanguer, et réaliser clairement que je ne suis pas réelle mais que je suis rêvée par un être plus vaste que moi. Sans le savoir, c’était ma première connexion à l’Inde où il est dit que Vishnou rêve le monde dans son sommeil et que nous sommes le fruit de ce rêve qui disparaît à son réveil. À l’époque, sans que j’en aie parlé, mon père a un jour comparé l’être humain à un poste de télévision qui captait des informations invisibles au-delà de nous. Nous étions donc un récepteur, un canal, l’invisible était notre source, et ça, c’est le cadeau qu’il m’a fait pour ma vie entière.
Trouver ma place dans une société qui ne perçoit rien au-delà de la matière n’a pas été simple.Après des études littéraires et une adaptation difficile à l’étroitesse de la ville, j’ai heureusement rencontré la voie musicale et commencé à travailler pour l’industrie du disque. De fil en aiguille, j’ai été chargée – entre autres – de la création de l’univers visuel des nouvelles pièces musicales d’artistes dont je m’occupais. C’est ainsi que j’ai été en contact avec des artistes formidables, Juliette Gréco, Zazie, Phil Barney, toutes les chanteuses du Mystère des Voix Bulgares, et l’homme dont je partage la vie.
Un bref passage par la chaîne Voyage, où j’assurais la rubrique culture, m’a permis un premier contact avec les Aborigènes d’Australie dont l’âme m’a touchée avec leurs peintures puissantes, accomplies comme s’ils peignaient les rêves de la Création à plat ventre dans le ciel (aujourd’hui le contact avec eux s’établit à travers les soins donnés avec Vanessa Escalante). Ce moment m’a aussi permis de me rendre compte que je me sentais inutile parce que je ne créais pas.
Alors je me suis mise à peindre, à écrire (des sketches, des livres pour enfants), à travailler sur des scénographies de spectacles musicaux et me laisser porter par mon imagination. Depuis le flux continue.
Parallèlement, la culture de l’Inde, avec laquelle j’avais été en contact à travers les sonorités de Ravi Shankar dans les chansons des Beatles et de Najma Akhtar sur Radio Nova, allait me structurer. À 22 ans, le premier chapitre des « Mythes et des Dieux de l’Inde » d’Alain Daniélou sur la nature de l’Absolu a éclairé ma grande question « Qui suis-je ? ». Plus tard, plusieurs rencontres ont changé ma vie : les cours de Baratha Natyam, une des huit danses classiques indiennes, de Hatha Yoga avec Elisabeth Puget, le Nidra Yoga d’André Riehl, les méditations du cœur silencieux avec Mukeshanand et les raga d’Imran Khan qui ont depuis contribué à ouvrir mon être.
En 2012, lors de mon deuxième voyage en Inde, arrivée de Calcutta à Varanasi malade, je suis allée prendre un cours de Yoga. Le professeur me dit alors « You’re a teacher ? » « I’m not ». « You’re a teacher ! » « No, I’m not ! ». « You’re a teacher. » Grâce à cette heure passée au-dessus du Gange, je n’avais plus mal au ventre, et je me suis rendue compte que si je souhaitais que ces bienfaits du Yoga continuent à être distribués, c’était à moi de prendre le relais, d’autant qu’à la même période, ma professeur répétait en boucle un message subliminal : « je ne suis pas éternelle ». En rentrant en France, je me suis inscrite à la formation de la Fédération Française de Hatha Yoga et j’ai commencé à donner des cours. La musique, qui avait toujours été présente dans ma vie et dans ma famille (l’amour de l’opéra a fait se rencontrer mes parents), s’est alors imposée à moi à travers la voix. Je me suis intéressée à la puissance de la vibration sonore qui donne forme à la forme, qui peut détruire ou guérir, qui vient masser le corps à l’intérieur pour réouvrir les espaces que les aléas de la vie ont étriqués. Longtemps j’ai travaillé sur moi, chantant toutes sortes de sons, et grâce à la rencontre avec Claudia et Sergio de la Fontaine de l’Aube qui se sont intéressés à ce sujet, j’ai commencé à transmettre ce que j’avais compris du rapport entre le son et le corps dans les cours de Yoga du Son.
Les expansions de conscience de l’enfance n’ont jamais cessé, elles ont été des cadeaux précieux pour guider mes pas. Les deux plus importantes sont d’avoir vu un matin d’été le décor de la réalité qui m’entourait trembler et devenir une grande trame vibratoire tissée de chants et d’amour, et percevoir qu’en réalité la véritable source de tout le vivant est de l’Amour pur qui informe la matière à travers le son. L’autre est d’avoir vu apparaître, alors que j’envoyais à un de mes proches en grande souffrance de l’Amour et la Lumière, de gigantesques Mains de Lumière l’envelopper et lui prodiguer un soin. Pendant des années, cela s’est renouvelé de multiples fois pour mon entourage ou des membres de famille de personnes que je connaissais de très loin.
Les premiers sont apparus pendant mes promenades en forêt. Un jour je me suis rendue compte que certains arrivaient toujours au même endroit, là où les chênes avaient été massacrés pour poser les poteaux de la fibre. Ils se sont installés pendant les relaxations des cours de Yoga et de Yoga du Son, puis un jour j’ai été poussée par une force invisible à placer mes mains sur une personne et plusieurs chants sont venus pour elle. La porte des soins par le son était ouverte.
En vérité je ne chante pas, je suis chantée. Une modification de l’énergie s’opère, tout vibre plus largement, d’autres dimensions s’ouvrent : dimensions de moi-même, de la personne en face de moi, dimensions cosmiques, connexions avec d’autres êtres et d’autres forces qui sont là pour aider la personne là où se trouve son besoin. Mes cordes vocales accomplissent des sons que je ne saurais faire dans la vie courante. Joints à l’énergie de mes mains, ils nettoient des mémoires que la personne porte et lui transmettent les codes de Lumière nécessaires à son évolution. Ils sont pour les plantes, les animaux, les humains, ils transmettent de l’amour et procurent de l’apaisement, et je découvre, étonnée, éblouie, l’étendue de leurs possibilités.
Cette partie de moi-même a été difficile à accepter mais les autres voient souvent en vous ce que vous avez du mal à reconnaître. Là encore, vint une rencontre décisive.
Alors que le génocide des amérindiens m’a profondément affectée, et longtemps je n’ai pu aller dans cette partie du monde, une nuit, j’ai rêvé de Wayne Snellgrove. Wayne, de la tribu des Saulteaux et dont le vrai nom est Standing Bear, est un « Medecine Man ». J’avais lu son livre « Leçons tirées des cendres » mais je ne le connaissais pas. Wayne est un survivant, il fait partie de ces enfants natifs enlevés par le gouvernement canadien à leurs familles et placés dans des institutions chargées de leur arracher leur âme. Cette nuit-là, il était présent dans tous mes rêves. Trois semaines après mon rêve, il était dans le sud de la France où je réside. J’ai demandé à avoir un soin avec lui. Wayne est l’être humain dont le coeur est le plus chargé d’amour que j’ai jamais rencontré. Durant le soin pendant lequel mon cœur a reconnu en lui le frère qui a pris soin de moi dans une vie de native des plaines américaines, il m’a dit « You’re a healer ! You can do the same thing that I do ». C’est lui qui m’a incitée à suivre ma voie. Il m’a fait comprendre que rien de tout ça ne passe par la tête, c’est par le cœur que ça se génère et s’accueille. L’Amour, au centre de tout.
Beaucoup de personnes ont une approche mentale de la Vie et méprisent ces expansions de conscience. La fréquentation de l’Inde et la lecture des « 8 circuits de conscience » de Laurent Huguelit (Mama Éditions) m’ont permis de comprendre que ce sont les espaces de la Conscience Universelle qui s’ouvrent à nous. Le monde minéral, végétal, animal, les plans des archétypes, des guides, des anges, des maîtres font partie de la Conscience Universelle. Nous sommes la Conscience Infinie sans forme et dans la variété de ses formes, nous sommes des êtres de Lumière et d’Amour que l’éducation et la vie terrestre ont réduite au corps et au psychisme.
Hormis le Hatha Yoga, de ma vie je n’ai jamais suivi de formation. J’ai juste travaillé sur moi, à libérer les espaces pour que la Vie se révèle et me révèle en tant que créatrice de ma vie. Tout est là, en Nous.
Que tous nos dons puissent être mis à jour,
nourris par notre travail, notre patience, notre amour ;
et s’incarner dans la matière,
qu’ils éclairent notre vie et celles des autres ;
telle est ma prière et telle pourrait être celle de chaque être humain.
Emma Chedid